La bataille faisait rage.
Dans la pouponnière, se battait vaillamment Petite Omble contre une créature toute droit venue des enfers. Un corps longiligne, élancé et rugueux, se séparant en miles et un rameaux à une extrémité d'où partaient des plumes épaisses et cartonneuses. Sans doute proche du reptile, la chose était couverte d'épaisses écailles marronnâtres. Mais elle devait aussi être proche de l'insecte, car dotée de pleins de petites pattes dont Omble avait déjà brisé une bonne partie.
La bête était sans visage. Dotée d'une force surféline et d'une cruauté à en faire pâlir tout le bestiaire de nos contrées, qui sait quel malheur aurait pu advenir si la petite borgne n'avait pas été là pour protéger le buisson en cette matinée ?
Roulée sur le dos, se tortillant comme une anguille hors de ses eaux et de ses gons, de ses pattes avant, la jeune Omble maintenait contre son poitrail celui anguleux de la chimère. Et de ses crocs, affutés comme de petits poignards d'ivoires, elle lui croquait son interminable cou tandis que ses pattes arrières se débattaient contre le plumage qui, sous ses impulsions, frémissait comme un serpent à sonnette.
Parfois, Omble se figeait, gueule entrouverte lorsque sa proie, exsangue, se figeait elle aussi, avant de reprendre ses gesticulations meurtrières. C'était une bataille épique, dont la seule issue serait le trépas d'une des belligérantes. D'ailleurs, quelques feuilles enfin... "Plumes", se décrochaient des rameaux, en miettes, venant s'entremêler au pelage hirsute de la chatonne.
La bataille était presque déjà gagnée, Omble le savait mais ne se reposait pour autant pas sur ses lauriers. Elle demeurait concentrée, bien peu dérangée par l'écorce coincée sous ses griffes et la poussière dans sa gueule. Oui, tant concentrée que le monde autour d'elle aurait pu s'arrêter de tourner sans qu'elle ne s'en apperçoive.