Souffle Brumeux quitta l'antre de la cheffe d'un pas lent, ses épaules toujours renfermées vers l'intérieur et son regard bas. Ses sourcils étaient froncés, comme si il allait jeter des éclairs sur la terre du Camp par ses iris. La colère et le désespoir bouillaient toujours en lui, et l'interaction avec les Enflammés de l'autre jour n'avait pas arrangé son moral.
Sa compagne était tout aussi désespérée que lui, et il ne faisait rien en sa faveur, ni à elle, ni à son autre fils. Un long soupir échappa ses babines tandis qu'il fit craquer sa nuque d'un mouvement sec vers la droite, puis fit la même chose vers la gauche. Il termina de chasser la mauvaise humeur en roulant ses épaules.

Ses iris se posèrent sur un large buisson vert dans la péripétie du Camp : la pouponnière. Il s'arrêta en cours de route, peut-être pourrait-il passer voir les chatons, cela lui remonterait le moral. Ou alors serait-ce à double tranchant, lui rappelant juste son fils qui lui avait été arraché des pattes.
Quelques secondes passa dans un silence qui lui était peu familier, puis le guerrier se lança vers le lieu de résidence des chatons. Il passa sa tête entre des larges feuilles encore humides de la pluie nocturne, les gouttes d'eaux reflétaient la lumière du matin et éclairaient l'endroit. Le mâle gris et beige fut tout de suite accueillit par une petite tête familière : Petite Omble.

- Hey. Sa voix était rauque, usée par les pluies d'injures et asséchée par les torrents de sanglots.

Il pénétra davantage dans la pouponnière, la mère de la petite n'était pas là. Tant mieux, aurait-il supporté son regard de pitié avec les dernières nouvelles concernant Nuage de Lynx, sûrement pas. Le félin ravala la boule qui se formait dans sa gorge et força un rictus malicieux sur ses babines.

- Comment va le petit poisson ? Demanda-t-il tout en commençant à s'installer à côté du chaton éveillé.

Le temps dehors était radieux. Alors, presque l'intégralité de la pouponnière s'était vidée pour aller chahuter sous les rayons du soleil tamisés par la végétation du camp. La belle saison s'était décidemment bien installée dans la vallée, et les chatons semblaient pousser sur les bords de rives comme les champignons au pied des chênes.

Mais comme les champignons, certains chatons préféraient l'ombre de petits bosquets où la lumière n'y filtre que par quelques rayons dorés s'abîmant dans les milles et unes gouttes de rosée parant les feuilles charnues. Oui, c'était décidemment la belle saison.
Quelques insectes se posaient parfois, entre deux gesticulations primaires, non loin de ces billes ambrées pour s'y désaltérer. Fourmis, coccinelles, papillons, ce beau monde se reflétait plus encore dans la plus grande perle du bosquet : l'oeil avide de Petite Omble.

Elle se tenait assise, toute droite comme un I face à la buvette pour invertébrés et les observait y faire leur halte dans un silence religieux. Clignant le moins possible, sans doute par crainte d'effrayer quiconque voulant étancher sa soiffe, elle tourna lentement la truffe vers une feuille plus haute perchée où s'abreuvait une libellule.

Ce n'était pas la première fois qu'elle voyait cette créature à l'anatomie absurde et pourtant, chaque fois elle en décrivait les formes avec le même étonnement. Tout les insectes étaient un peu rond, pas très colorés saufs quelques uns dénués de tout reflets, sauf les scarabées. Les libellules, elles, étaient toutes en longueur, élancées et en même temps couverte d'une sorte d'armure tantôt bleutée, tantôt rose, aux éclats semblables aux quelques pépites qu'on pouvait parfois apercevoir en bord de rivière. Mais ce qui faisait leur charme, à ces bêtes presque surnaturelles, c'était qu'elles étaient incroyablement craintives.

Doucement, Petite Omble tenta d'approcher une patte de la demoiselle se languissant sur son coin de verdure. Le geste était maladroit. Plein d'autant d'à-coups que la tête s'inclinait de degrés sur le côté. Et lorsque le coussinet curieux ne fut plus qu'à quelques centimètres d'accomplir l'impensable, que dis-je, l'inimaginable en cette pouponnière désertée de tout spectateur pour attester de l'accomplissement de la prophétie, qu'un lourd bruissement agitât le buisson et fit décoller la chimère en quatrième vitesse.

Une brève pluie s'abattit sur l'enfant qui chercha, gueule entrouverte, la figure divine qui osa interrompre ce que l'histoire allait connaitre de plus grand et rencontra alors, le regard penaud du gros guerrier gris.

- Hey. fit il d'une voix monocorde relevée de ce sourire taquin qu'elle lui connaissait si bien.

Alors que le géant fit quelque pas dans le domaine des petits, la jeune Omble fit quelques petits sauts ravis en arrière.

- Tonton ! lança t-elle d'une voix chantante.

Celui qui s'avançait n'était en rien son oncle, et sans doute le savait elle plus ou moins. Mais cette figure doucement mesquine l'avait suivit à la trace depuis ses premières heures dans ce monde. Ainsi, l'habitude s'était installée, et ni elle, ni lui, n'avait visiblement désiré y changer quoi que ce soit.

- Comment va le petit poisson ? Demanda le poilu en s'installant entre les branchages dans une aigreur à peine dissimulée.

- Il va bien ! Répondit donc Omble dans la même intonation joviale, yeux mi clos et sourire aux babines. Et toi Tonton Brumeux, tu vas bien ?

Elle s'était de nouveau assise, non loin du guerrier endeuillé dont d'ailleurs, elle peinait à percevoir le tracas. Ces derniers jours, elle savait vaguement que le camp avait fait mettre le branlebas de combat et qu'il avait été question d'intrus ou que sais-je encore. Les adultes ne lui avaient pas vraiment expliqué et de toute façon, elle leur faisait bien trop confiance pour imaginer que l'un des grands manquait à l'appel. Alors, elle avait un peu oublié ce curieux épisode et avait repris ces activités ô combien passionnante que tout un chacun mène à cinq lunes.

Souffle Brumeux regarda la petite s'installer à côté de lui. Elle lui répondit d'un ton jovial familier, le tout accompagné d'un sourire d'enfant. C'était réconfortant d'être avec Petite Omble, même si elle n'était pas de sa famille, le guerrier passait régulièrement la voir, elle et sa mère. C'était une sorte de rituel depuis que la pouponnière était de nouveau pleine.

"Il va bien ! Et toi Tonton Brumeux, tu vas bien ?"

- Bien. Miaula-t-il simplement, avant de faire une mine réfléchit. Mais maintenant que tu le demandes, j'ai quelque chose qui est coincé entre mes coussinets. Tu regardes pour moi ?

Le Pluvieux tendit sa patte en direction du chaton, elle était fermée sur elle-même, cachant des coussinets gris légèrement fêlés par le temps et les combats. Le territoire du Clan de la Pluie a toujours été humide et brumeux, empêchant l'usure et l'assèchement trop rapide des coussins de pieds.
Attendant que la jeune féline s'approche, il gardait sa position pour faire durer le suspense un peu plus longtemps, aimant le côté mélodramatique que cela apportait. Son sourire en coin s'accentuant, il ouvrit d'un coup sa patte lorsque Petite Omble fut suffisamment proche.

Les rayons de lumière aveugla sûrement le chaton un instant avant de révéler deux petites écailles de poisson qui semblaient multicolores par les reflets. L'eau de mer était encore imbibé dedans, apportant des éclats de sel brillants et une odeur d'iode délicate dans l'air. Les morceaux de poisson venait d'une proie qu'il avait chassé hier en fuyant le regard intense d'Etoile Volatile.
Il les avaient soigneusement gardé pour les offrir à sa petite protégée, espérant lui faire plaisir pour oublier ses propres problèmes. Souffle Brumeux préférerait devenir muet que de l'avouer, mais il adorait plus que tous les petites boules de poils qui habitaient la pouponnière.

- Gardes les, elles viennent du Rivage d'Azur. Mes vieux os crient encore d'y être allé. Ria-t-il doucement, avant de pousser affectivement la petite chatte et de rajouter. N'hésite pas à dire à ta mère que tu préfères tonton Brumeux.