Grondant comme un orage bruyant, Frénésie Carnassière se dirigea d'un pas très lourd vers la frontière qui séparait deux des clans de cette forêt, n'appréciant que très peu l'idée de se séparer de sa compagne de route. Bien vite, un lac se dévoila devant lui : des nénuphars au milieu, des grenouilles à droite, des poissons à gauche et les infâmes odeurs du clan qui habitait les forêts se mêlaient à celles sales du clan qui vivait par-delà le lac. Sans prendre le temps de réfléchir et sans même arrêter son pas, le mâle s'avança dans l'eau. Il ne flancha pas une seule fois lorsque l'eau froide, même glaciale en cette nuit sans nuage, entra en contact avec son poil ras. Aucune protection contre la fraicheur de la nuit, mais Frénésie Carnassière n'en avait que faire, il n'avait qu'un objectif et il devait le finir. Les amphibiens bondissant hors de leurs nénuphars que le guerrier écartait sur son passage, il se permit de pouffer de rire, appréciant comme une addiction perverse lorsque les animaux prenaient peur de lui. Et à juste titre, il était énorme et ses grosses pattes, musclées et fortes, le poussaient maintenant en dehors du lac qu'il avait traversé presque sans peine. 

Il était temps de trouver d'autres animaux à effrayer. Suivant avec dégoût les odeurs des félins qui vivaient en ces lieux, Frénésie Carnassière prit un maximum de note mentale du nouvel environnement qui s'offrait à lui. Ici, tout était mouillé et le gros guerrier n'appréciait pas ce territoire une seule seconde. Sauf peut-être cette forêt, tellement brumeuse qu'il se sentait dans son élément tant on ne le voyait pas. Voyageant comme une ombre entre les arbres, le guerrier n'était plus qu'à quelques centaines de mètres du camp.

Un chemin de pierre menait jusqu'au camp, est-ce que les bipèdes avaient fait cet endroit ? Quelle honte. Il était encore plus honteux de ne pas y avoir mis de sentinelles à l'entrée du camp. Où étaient-elles ? Arquant un sourcil, il ne pouvait pas croire que ces chats n'avaient pas de protection. S'ils y en avaient, alors cela n'avait pas porté ses fruits car voilà que Frénésie Carnassière se tenait au centre de l'ilot regardant avec dédain chaque buisson. Il s'approcha de broussailles, probablement un nid de jeunes chats et c'est pour cette raison que le guerrier l'avait choisi. Frénésie Carnassière voulait faire peur, il voulait être terrifiant. 

Dans la tanière, deux chats, deux petits chats. Un beige rayé de noir et un blanc taché de noir. Un sourire mesquin s'afficha sur son visage, ses deux longues canines dépassant un peu plus de ses babines. Il était trop gros et trop grand pour rentrer dans la tanière, mais il se releva tout de même, endommageant le buisson piquant. Le bruit réveilla un des deux petits qui leva sa minuscule tête pour faire face à l'énorme de Frénésie Carnassière. Clignant des yeux pour réveiller son esprit embrumé, l'apprenti poussa un petit couinement de peur lorsqu'il comprit que le gros félin noir n'était pas de son clan. Essayant de se relever pour fuir vers l'arrière de la tanière, Frénésie Carnassière bondit vers l'avant, démantelant un peu plus le nid, pour attraper le petit novice par la peau du cou, écrasant de ses grosses et plutôt brutalement l'autre chat beige qui dormait paisiblement. L'apprenti blanc et noir gigota comme un diable en poussant quelques grondements de douleur pendant qu'il se faisait trainer comme un malpropre en dehors de la tanière.

Frénésie Carnassière recula jusqu'au chemin qui signifiait l'entrée du clan. Gardant le chaton dans sa gueule, serrant un peu plus les crocs qui étaient déjà enfoncés douloureusement dans la peau de son cou, Frénésie Carnassière sentit son cœur battre plus vite et plus fort. Ses griffes sortirent de ses grosses pattes, le mâle attendait patiemment que le clan se réveille.

Le camp s'agitait. Ça commençait. Sortant de tous les côtés, Frénésie Carnassière n'avait cependant pas peur de ses chats, pas le moins du monde. Il vivait pour le combat et avoir peur de ses ennemis n'était pas une option. Un félin surgit d'une des tanières principales, il semblait crispé, mais afficha une lueur malicieuse dans son regard. Frénésie Carnassière fronça les sourcils, lui s'amusait pleinement de la situation, mais il supportait que très mal lorsque les autres guerriers le faisaient également. Il ne répondit pas à sa question, se contentant de suivre des yeux les déplacements du guerrier qui se dirigeait doucement et prudemment vers la tanière que le gros guerrier avait détruite plus tôt. Pas une parole ne sortirait de sa gueule, c'est ce qui le rendait plus effrayant.

Seulement, lorsque le petit chat beige se mit à se débattre dans le buisson d'épines dans lequel il se trouvait, puis à pleurer à l'aide, puis à implorer son père de le sortir et enfin à se coller à lui en geignant comme le pauvre bébé qu'il était, Frénésie Carnassière ne put se retenir de rire. D'abord comme un grognement sortant de sa gueule, le gros mâle ne put se contenir : il se mit à rire à gorge déployer. Le petit gars tomba lourdement sur le sol et tenta de s'enfuir en rampant avec la même grâce qu'un ver de terre, mais le mâle étala sa grosse patte sur la tête du plus petit, pour le bloquer au sol. Ce dernier poussa un petit couinement ridicule puis se laissa tomber mollement au sol, abandonnant toute tentative de fuite.

Quant à Frénésie Carnassière, il était toujours coincé dans son fou rire. Si hilare qu'il commença alors à se moquer du petit. Ô diable s'ils entendaient sa voix, s'il brisait un mythe, ce chaton était tellement amusant que la situation en devenait burlesque.

"Ah ! De là où je viens, les chatons ne braient pas pour un rien ! Ce sont de vrais petits guerriers nés alors que toi.. Regarde-toi, petit, de la morve coule de ton nez, laisse donc papa te l'essuyer, dit-il d'un ton moqueur avant d'imiter le chaton en mettant son autre patte libre sur son visage. J'ai peur"

"Je vois que tu aimes jouer. Tu as de la chance, moi aussi."

Oh qu'il était chanceux ! Se calmant, le rire de Frénésie Carnassière sortait maintenant de sa gorge comme un grondement inquiétant. Ce félin, ce père, n'avait plus du tout une expression naturelle : son sourire malicieux était forcé, le gros mâle le remarquait bien. Lorsque le guerrier du clan adverse s'élança vers lui, l'étranger vint donner un puissant coup de patte au plus petit entre ses griffes pour l'écarter un peu du combat. L'autre vint le percuter, coup bien placé : Frénésie Carnassière lâcha sa poigne sur le chaton et le guerrier en profita pour essayer de mordre sa gorge, mais le guerrier chuta, faisant rire le gros mâle. Il s'empressa donc de mordre sa patte antérieur. Le plus gros guerrier leva alors son autre patte et frappa avec force la tête (1) du guerrier gris pour le déloger de sa patte.

"Dure dure journée aujourd'hui, là je vais aller manger une petite souris, nom nom, dit-il en donnant un coup d'épaule à son compagnon de litière. Après je vais aller coucher et après je vais m'endormir, ron...piche et puis je ferais des beaux rêves où je verrais pas ta sale tronche, Nuage de Lynx." 

C'était le plan de Nuage de Poisson, qu'il suivit à la lettre. Petite souris et hop, au lit on dort ! Demain, il serait prêt et fringant pour débuter une nouvelle journée à embêter son camarade. Seulement, qui aurait pu croire que, dans la nuit, un matou plus gros qu'un tigre -il avait jamais vu de tigre donc en fait il n'en savait rien- viendrait contrecarrer tout son agenda ? Lorsque le bruit de chute et de froissement retentirent dans ses oreilles, le petit mâle ouvrit doucement ses yeux, relevant la tête pour faire face à celle d'un guerrier qu'il ne connaissait pas. Il en a une grosse tête celui-là. Il cligna des yeux. Puis il pue. Ses yeux commencèrent à s'habituer au noir. Il en a des grandes dents. Attends.. Personne de son clan n'avait des grandes dents comme ça ! Nuage de Poisson poussa un couinement de peur avant de se précipiter vers l'arrière de la tanière. 

"Réveille-toi camaraaaaaahde !, cria-t-il à l'autre apprenti endormi." 

Aucune douceur ne venait de cet espèce de gros intrus qui le trainait à maintenant sur le sol comme s'il n'était rien d'autre qu'un jouet. Oh il avait beau gronder, hurler, gigoter, le gros matou ne lâcha pas sa prise sur son cou. Nuage de Lynx, malgré la douleur de s'être fait marché dessus, c'était relever d'un bond pour venir griffer le museau de guerrier sombre. Il se prit un coup de patte si violent qu'il alla s'écraser dans les buissons épineux de la tanière. Le chaton noir et blanc afficha une mine choquée, puis inquiète, puis colérique. Comment osait-il ! Il se débattait de plus belle, oubliant ses dernières batailles avec l'autre apprenti, il n'avait envie que de le rejoindre. Nuage de Lynx se mit à pleurer, à trembler : il était terrifié, et c'est à ce moment-là que Nuage de Poisson comprit qu'il était coincé dans une situation plus que délicate. L'autre mâle se mit alors à se moquer de Nuage de Lynx, à rire à gorge déployer, Nuage de Poisson fut relâcher, tombant brutalement sur le sol. Il essaya de s'échapper en rampant, mais une grosse patte vint fracasser sa tête contre le sol. Des larmes de douleurs vinrent perler le coin de ses yeux, il n'allait pas mourir ici, quand même ? Même Souffle Brumeux avait perdu son air malicieux ! Lorsque ce dernier s'élança vers l'intrus, il fut projeter un peu plus loin par celui-ci, mais c'est lorsque Souffle Brumeux percuta le guerrier qu'il fut enfin libérer de l'emprise du plus gros. 

Rejoindre Étoile Volatile et Nuage de Lynx ? Ou rejoindre celui qu'il lui avait redonné une famille ? Souffle Brumeux flancha sous son propre poids, terrifiant le jeune apprenti, puis se prit un coup de patte puissant au niveau de la tête. La peur était présente dans la tête du chaton, mais la loyauté était plus forte dans son cœur. Comment pourrait-il ne pas aider son mentor ? Il avait fait une promesse à ce même matou le jour où il l'avait rencontré : "je ne te quitterais plus jamais" lui avait-il dit. Bien sûr il avait été mesquin après, lui faisant croire qu'il allait le manger, mais Nuage de Poisson n'était pas rancunier. Il aimait bien Souffle Brumeux, il l'adorait même, alors, ni une, ni deux, il se lança dans le combat. Jamais il n'abandonnerait son mentor.

Ok, il devait se souvenir des cours de Souffle Brumeux : il était plus petit que son adversaire, il voulut alors bondir sur son dos, mais une seule roulade défensive et l'apprenti serait KO ; il ne pouvait pas non plus faire face à lui, un coup de patte l'enverrait valdinguer par delà le territoire, direct chez ma mère ; une série de petites attaques à droite, à gauche, derrière, aussi vite qu'il le pouvait c'était tout ce qu'il pouvait faire contre ce matou. Profitant de ne plus être le centre de l'attention du sombre guerrier, les pattes de Nuage de Poisson le lancèrent vers son adversaire, Souffle Brumeux était peut-être sonné -il n'en savait rien, toute son attention était tournée vers l'intrus-, mais lui, il venait de mordre une de ses pattes postérieures, dans sa peau la plus fine pour infliger une douleur vive. Nuage de Poisson était rapide, et il profita de ça pour s'écarter en roulant sur les côtés du guerrier lorsque celui-ci se retourna, exposant son flanc. Il en profita pour bondir aux côtés de Souffle Brumeux en tailladant la chair exposée (1). Nuage de Poisson se colla à son mentor, les muscles toujours bandés, prêt à combattre.

Une douleur dans une de ses pattes postérieurs, puis une autre dans son flanc : le gamin était courageux pour revenir à la charge. Il se plaça à côté de son mentor, ou père ? Frénésie Carnassière n'en avait que faire.

"Toi, ses yeux fixèrent ceux du plus jeune, une lueur malsaine et indescriptible dans son regard, tu es un futur guerrier, bien plus courageux que l'autre bébé."

L'autre bébé justement, venait de lui bondir sur le dos pour le mordre à la nuque. Le guerrier sombre n'eut aucun mal à le dégager, un coup d'épaule dans le vent et le voilà qu'il dégringolait sur le sol.

"Crotte de souris, mais que se passe-t-il ici ? Et qui es-tu ? Que fais-tu dans notre camp ?"

Ne vois-tu pas, guerrière ? 

Frénésie Carnassière attrapa l'apprenti beige par la peau du cou avant de le tirer d'un coup sec pour le projeter un peu plus loin, le renvoyant dans les broussailles, (1) puis, son cerveau déchargeant une nouvelle dose d'adrénaline, le mâle se mit sur ses pattes arrière, se faisant tellement grand que ça en devenait épouvantable avant de se laisser tomber sur l'apprenti noir et blanc (2) pour lui couper le souffle. Attaquer des jeunots, alors qu'on est 3 fois plus gros qu'eux était peut-être déloyal, mais Frénésie Carnassière adorait cette position de puissance qu'il avait. Humilier les apprentis, les voir essayer, oui, c'était presque jouissif.

Devant lui se dressaient les trois mâles, un seul guerrier pour deux apprentis. Le reste du clan n'avait pas bougé d'un poil. Pathétique. Frénésie Carnassière était très amoché, pourtant, tout cela lui procurait une joie intense : il adorait les combats, ça le rendait vivant ! Cependant, le temps était venu pour lui de partir, il ne devait pas utiliser toutes ses forces pour ces félins-là, un autre clan devait avoir l'honneur de le rencontrer ! Le guerrier sombre souffla pour reprendre son souffle tout en fixant les chats en face de lui. Son sourire s'agrandit alors, si ce clan comptait sur deux apprentis pour se défendre, leur destruction serait assurée.

"Frénésie Carnassière. C'est un vrai plaisir de vous rencontrer, dit-il avec un sourire carnassier avant de plonger son regard dans l'apprenti en face de lui. Malheureusement, il est temps pour moi d'y aller, vous n'êtes pas les seuls dans cette forêt"

Un son sourd sortit de sa gorge comme un grognement, c'était en fait un rire. Le regard paniqué et haineux du guerrier était une délectation pour lui. Le guerrier se retourna vivement, et poussa sur ses pattes arrières pour se propulser à toute vitesse vers l'autre apprenti derrière lui, il hésita à l'attaquer, encore une fois, mais quel serait l'intérêt s'il ne pouvait pas apprécier ses pleurs de douleur ? Au dernier moment alors, il bondit sans peine au-dessus du beige, continuant sa course effrénée une fois retombé à terre. Une fois à l'entrée du clan, il se retourna, miaulant, son regard droit dans celui du guerrier gris.

"Nous nous sommes bien amusés, non ?"