-Arrête de faire l’intéressant !
-Comme si !

Nuage d’Orpin jouait dans la tanière des apprentis avec l’un de ses camarades, lui faisant mordre la poussière dans un simple jeu de chamaille. Mais c’est qu’il était compétitif, même un jeu d’enfant devenait source à obtenir la précieuse attention qu’il convoitait. Il bondit sur lui et lui mordilla la nuque, l’autre se plaint le plus fort possible
-Aaaaieeuhhh !
-Poule mouillée ! Ricana t-il en se redressant, les griffes encore sorties. Erreur erreur mon petit. La silhouette qui se glissait derrière toi n’était pas là pour te faire des compliments. L’autre recula, les oreilles rabattue avant de battre retraite hors du nid.
-Ahah c’est ç-

-Nuage d’Orpin.
Un long frisson remonta le long de son échine et le jeune félin se retourna vivement, le poitrail gonflé
-Ou-oui Cœur de Coyote ?
Sa voix avait un peu tremblée. Ce n’était pas comme si il avait vraiment peur de son père, mais il savait que la correction qui l’attendait n’allait pas être agréable. Son père lui avait répété maintes et maintes fois de ne pas taquiner les autres jeunes de son âge, mais c’était plus fort que lui. Ça pour attirer l’attention…

L’altercation ne démonta pas Nuage d’Orpin. Demain, c’était son baptême de guerrier ! Songea t-il tout en essuyant d’un coup de patte léché la griffure toute fraîche sur son museau. Il allait rendre son père fier, du moins il l’espérait… Voilà quelques lunes que celui-ci semblait se désintéresser de lui. Auparavant il gonflait le poitrail lorsque son fils chantait ses louanges. Quelle en était la raison… ?
Des questions tournoyaient dans son esprit alors qu’il remarquait un regard distant posé sur lui. La silhouette de la guérisseuse Lune d’Hiver se détourna rapidement, fuyante comme une ombre. Nuage d’Orpin avait incliné la tête, l’air interrogateur en voyant Nuage d’Abeilles traverser le campement en compagnie de la meneuse. De tout le clan, il était le seul à ne lui avoir fait aucune remarque depuis son arrivée, il la trouvait intéressante et son père ne semblait pas y avoir vraiment porté intérêt. Mais il ne lui avait pas parlé pour autant… Peut-être devrait-il.

Le lendemain arriva beaucoup plus vite qu’il ne l’aurait cru. Les yeux grands ouverts, il avait passé la nuit éveillé. Son cœur tambourinait dans sa poitrine alors qu’il écoutait les souffles apaisés de ses camarades endormis. Enfin… Sans trouver le sommeil, l’aube était là. Étoile de la Grenouille l’attendait sur le promontoire pour l’assemblée matinale en compagnie de son mentor et de Lune d’Hiver.
Quelqu’un manquait à l’appel. « Il est en patrouille ». « Oh. » Rien de plus, rien de moins, tout se déroula sans accro et le félin adopta le doux sobriquet d’Éclat d’Orpin.
On le félicita, lui donnant des coups de museau ou de pattes sous le regard envieux de ses camarades qui ne tarderaient pas à le rattraper. Mais sous les sourires et les rires Orpin se sentait vide. Il avait tant et tant rejoué ce moment dans son esprit, il l’aurait pensé parfait en tout point. Pourquoi tout semblait si… Banal ?

-Éclat d’Orpin ?
-Hm… ?
Son regard troublé reprit de son éclat alors que la guérisseuse venait à lui. Elle s’était rapproché très prêt ce qui le mit mal à l’aise et lui intima de la suivre hors du campement. La féline avait besoin d’aide pour aller ramasser quelques plantes. Méfiant, mais aussi intrigué, le tout juste nommé n’aurait pas pu refuser. Après tout, il pouvait ENFIN sortir sans mentor.

Elle l’emmena à travers le territoire, parcourant le bois de Jade, les forêts, rivières et vallons. Éclat d’Orpin en bon camarade désabusé ne cessait de parler, blaguer ou commenter la journée. Mais il commençait à trouver le temps long alors que les réponses du Lune d’Hiver se faisaient toujours plus évasives. Pourquoi elle évitait de le regarder comme ça ? Non sérieusement, ça commençait à l’inquiéter.
A bien y réfléchir, il s’était toujours senti incommodé en sa présence. Peut-être son regard lourd de mystère qui pesait sur son échine. Orpin savait lire le superficiel mais il n’était jamais parvenu à crever la surface derrière ces deux yeux verts. Et ce n’était pas faute d’essayer.

Ils arrivaient tout juste dans les crevasses de Pierre lorsque Lune d’Hiver s’arrêta brusquement. Quoi ? Il y avait un serpent ? Non pas en cette saison, cervelle de souris… Orpin la dévisagea alors qu’elle se tournait vers lui, l’air grave. Ses muscles se tendirent en sentant ses yeux se planter dans les siens, un large soupir soulevant ses épaules.

-Éclat d’Orpin mon petit…
Uh ?! Il ne pensait pas être si proche d’elle pour qu’elle l’appelle comme ça. Elle fit un pas vers lui et il recula, lui lançant un regard d’incompréhension.
-J’ai quelque chose à t’avouer. Je garde le secret depuis ta naissance mais aujourd’hui je ne peux plus… Pour ton bien…
Quoi ? Quoi ?! Elle était tournée du ciboulot !
-Heu je crois pas que je..
-Ce que j’essaye de te dire depuis si longtemps c’est que…
-que ?
-Je suis ta maman, Éclat d’Orpin. Rassure toi, Cœur de coyote est bien ton père, nous avions un accord. J’ai du te voir grandir dans les bras d’autres reines, ne jamais avoir pu ne serait-ce que t’effleurer, imagines tu ma peine ? Mais je… je suis là maintenant, tu m’écoutes ? On peut toujours garder le secret, mais tu es grand maintenant tu en es capable hein ? Orpin ?

…
…… ?
La voix de lune d’hiver s’étouffe dans les échos sourds de sa pensée qui s’emmêle.
Le jeune guerrier respirait bruyamment, le poil hérissé. Ça s’écroulait. Son petit monde idéal tombait en miettes.

Ce… Ce n’était pas si grave pas vrai ? Une guérisseuse… C’était interdit mais elle restait un chat du clan de la terre non ? Alors il n’y avait pas réelle trahison… Mais alors ? Alors ? Pourquoi ça lui faisait TELLEMENT MAL ? Il lui avait menti. Son père en qui il avait placé toute sa confiance, tous ses espoirs lui avait menti. Il luttait pour ne pas lui en vouloir mais… ça lui vrillait les entrailles.
Il voulu partir mais elle s’était rapprochée, se collant à lui dans une étreinte qu’elle voulait sûrement chaleureuse. Le guerrier feula et la repoussa violemment une première fois. Elle lui cria quelque chose et se rapprocha de nouveau mais Éclat d’Orpin était aveuglé par sa peine et il la rejeta encore une fois a coups de pattes. Puis vient sa dernière et ultime tentative ou le félin lui attrapa fermement l’épaule entre ses crocs. Il ne voulait pas qu’elle s’approche.

Aussi, c’était sûrement un incident. Un peu bête au final. Lune d’Hiver avait poussé un cri déchirant en reculant vivement, comme frappée par la foudre. Aucun des deux n’avaient vu la crevasse qui ne se trouvait qu’à quelques pas. Sa silhouette disparue soudainement comme happée par la terre. Un bruit sourd, puis le silence.

Cruel silence.

Éclat d’Orpin, le souffle erratique s’approcha du bord et s’y pencha. La silhouette de la guérisseuse était quelques mètres plus bas. Ce n’était pas bien profond, mais elle ne bougeait plus. Il tourna en rond de longues minutes, jetant de temps à autres des coups d’œil nerveux en contrebas. Même de loin il constata que sa nuque avait un angle un peu étrange, comme un bâton tordu.

Comme les proies  du tas de gibier.

L’image terrifiante lui fit pousser un cri et il se mit à courir. Il voulait rentrer vite et parler à son père. Il ne voulait pas croire qu’elle était morte comme ça, aussi facilement. Ça ne le rendait pas spécialement triste, juste complètement paniqué, honteux et apeuré pour la suite. Allait-il pouvoir vivre avec ça ?

Le crépuscule tombait sur le territoire alors qu’éclat d’Orpin se glissait dans le campement comme une ombre, faisant profil bas pour ne pas se faire remarquer. Il attendit la nuit et s’introduisit dans la tanière des guerriers pour réveiller son père. Il râla un peu mais accepta de se lever hors de son nid douillet pour accueillir la bise fraîche du dehors.

-Tu as fais QUOI ?
Il n’en crut pas ses oreilles. Mais sa réaction ne fut pas tout à fait celle qu’il attendait. Il se dit qu’il allait se faire rudement sermonner, ou il espérait au moins des explications mais… Il éclata d’un rire gras. Rire ? Il RIGOLAIT ? Mais c’était tellement grave ! La guérisseuse – sa mère - était morte, par sa-leur faute !

Puis ils discutèrent longuement. Cœur de Coyote ne cessait de lui tourner autour. Il lui susurra qu’il ne devait pas couvrir le crime, qu’il valait mieux se dénoncer. Que ce n’était pas de sa faute, ils avaient un accord et jamais elle n’aurait du le révéler... Mais pourquoi ? Il pouvait mentir, dire que c’était un accident… Puis c’était la réalité. Non. Ce serait trop problématique. Si la véritable raison de sa mort venait à se savoir… Il devrait l’annoncer à étoile de la grenouille.

Déphasé. Éclat d’Orpin avait perdu tout ce qui le composait, son assurance, son sourire. Sous les regards accusateurs du clan entier il redevenait un petit chaton. Mais là, le sermon était bien plus grave.
Dès le matin, Etoile de la grenouille et d’autres vinrent le questionner frénétiquement. Pourquoi n’était-il pas venu la voir immédiatement ? Que s’était-il passé ? Était-elle rentrée hier soir ? Ou étaient-ils allés ? Certains les avait vu partir ensemble. Impossible d’esquiver.

-Il y a eu… Un accident. Lune d’Hiver est tombée dans une crevasse.
La sincérité n’était peut-être pas le bon choix finalement, mais il n’arrivait pas à mentir. Le silence qui suivit sa déclaration sembla éternel. Puis fusèrent les cris, les insultes, les menaces. Deux yeux parmi la foule de guerriers le fixait en silence. On le questionna. Requestionna. La panique s’emparait du clan alors que la meneuse tentait de calmer ses troupes.

-Elle est morte d’accord ?! Je… Je l’ai poussée !
Horreur et désarrois. Comment ? Comment avait-il osé ? Lui ? Orpin ! L’apprenti siiiii parfait et siiii loyal.Tuer une GUÉRISSEUSE !
Le jeune félin n’attendit pas le verdict de sa meneuse pour foncer dans le tas, dépassant les guerriers et déboulant hors du camp. Comme lorsqu’il s’était enfui de la scène du crime, il couru sans s’arrêter jusqu’à que sa gorge siffle et ses coussinets le brûlent.

Il décampa jusqu’aux terres solitaires, là ou personne ne pourrait le trouver. Petit à petit il apprend à vivre avec son fardeau, il l’allège chaque jour un peu plus. La culpabilité le ronge, mais il prend goût à la nouvelle liberté et aux infinis territoires qui s’offrent à lui. Même si il n’est pas vraiment parti par choix, il commence à se faire à la vie de solitaire émérite. Cependant, il sait qu’il lui reste des choses à faire du côté des clans. Même dans le lointain il a toujours la sensation d’être observé sans cesse. Par deux grandes prunelles vertes.