Encore une nuit que Tocade passerait dehors, sauf s'il se dépêchait de descendre de son arbre pour trotter vers la ville, mais pour l'instant, le gros matou était agréablement perché à une des branches d'un grand arbre. Finalement, avec un bâillement qui aurait pu lui faire avaler une colonie de mouche, le rouquin se laissa tomber au sol pour se réceptionner sur le tapis de feuilles mortes avant de s'assoir, fatigué, mais calme. Loin de là d'être le parfait cliché du gros domestique fainéant, le mâle manquait tout simplement de volonté pourtant lorsque l'odeur du sang arriva dans ses narines, le guerrier solitaire commença peu à peu à être résolu à partir : il n'avait pas l'envie de se battre ce soir. 

"Bonsoir, matou-au-pelage-de-feu, mes excuses si je t'ai fait peur... loin de moi cette idée."

Peur ? Comment pouvait-il avoir peur ? Le chat qui tournait autour de lui vint se poser sur le sol, le toisant de bas en haut et le rouquin se s'embêta pas pour faire de même. Le chat en face de lui, noir de jais, était plutôt imposant, définitivement pas un guerrier que le domestique attaquerait à la loyale. Lui tomber sur le dos depuis sa branche, le mordre à la nuque jusqu'à ce qu'elle craque sans lui laisser le temps de comprendre, c'est ça qu'il aurait fait.

"A qui ai-je l'honneur, sans vouloir paraitre indiscret ?"

Une de ses oreilles pencha vers l'arrière aillant entendu un bruit : toujours être sur ses gardes, surtout en charmante compagnie. Ce chat n'était pas un félin de clan -aucun clanique ne s'aventurait en dehors de son territoire, qui plus est la nuit- et il empestait le sang. Il s'agissait sans doute d'un félin solitaire, comme il y en avait des dizaines dans les forêts. Cependant, celui-ci, il ne l'avait jamais vu.

Le rouquin était étrangement attiré par les prunelles de l'autre chat : elles étaient couleur or, tout comme les siennes, presque identiques et si belles par ce fait. Est-ce que ce matou était aussi intéressant que ses yeux ? Le domestique avait cette envie de le tester, à défaut de vouloir rentrer chez lui. 

"On ne peut pas m’acheter, mais on peut me voler d’un seul coup d’œil. Je ne vaux rien pour un, mais je n’ai pas de prix pour deux."

S'il répondait correctement à son énigme, peut-être que le domestique accepterait de lui donner son nom, ou pas ? Qui sait ? Tocade portait bien son nom, avec lui, tout pouvait arrivé.

"Ma foi... Voilà une devinette bien compliqué pour un simple félin tel que moi..., ronronna t-il humblement. Tu joues sur ma corde sensible, matou-de-feu... si "l'amour" est la réponse que tu cherches, je te la donne volontiers mais... mon coeur est bien incapable de ressentir une telle émotion alors.. je ne peux faire que cette humble supposition..."

Tocade avait dû mal à croire les paroles du chat en face de lui, il n'avait rien d'un simple félin, ça se voyait dans son visage et dans ses mots. Le domestique regarda le solitaire se lever lentement, s'étirer comme si aucun danger n'était dans les alentours, et c'était probablement le cas : sans qu'ils ne le sachent, les deux plus grand dangers n'étaient rien d'autre qu'eux, l'un en face de l'autre, un chat noir et un chat roux qui n'avaient rien en commun que la couleur de leur yeux. Pour l'instant du moins.

"Bien, c'est la bonne réponse, camarade. Le Chat se nomme Tocade."

Comme une récompense, le domestique accepta de partager son nom.

"Ceci étant dit... défends-tu la douceur de la haine ou la violence de l'amour... je me le demande.
- Le Chat n'est ni habité par l'amour, ni par la haine. C'est l'originalité du chaos qu'il sème." 

Le rouquin fixa le mâle avec intérêt avant de se relever à son tour, si ce dernier s'était approché de lui en tournant autour, il n'allait pas se gêner pour faire de même. Il s'approcha du guerrier solitaire à pas de velours, regardant de haut en bas le matou.

"Comment te prénommes-tu, matou étranger ?, demanda-t-il en dépassant le chat, sa tête passant toute proche de l'autre. Tu n'es pas un chat de clan, la Tocade le constate fort. Dehors aussi tard dans la nuit et le fumet de sang collant à la peau, un chat de clan avec ces attributs est un chat mort"

Tocade alla se rassoir un peu plus loin, droit, mais noble tout en attendant la réponse du solitaire.

"Je me nomme Foudre, à défaut de ne pas avoir encore rejoint les défunts, je fais vivre l'Enfer sur terre à quiconque croise le Démon. Merci de constater que je ne suis pas un chat de clan, murmura-t-il avec une mine dégoûté. Hm... que veux-tu... là où je vais, la mort et le sang sont semés dans mon sillage."

Tocade afficha un sourire carnassier : c'était bel et bien un camarade, un ami peut-être ? Le domestique appréciait cette réponse, elle lui rappelait étrangement Pandémie, son mentor et le seul sur qui il avait pu réellement compter. Il continuait à fixer le félin, comme si des centaines de paroles s'échangeaient dans leur yeux sans qu'ils n'aient à ouvrir la gueule.

"Mais dis-moi, Tocade, tu me sembles à l'aise en ma présence... tu n'es pas un simple solitaire qui arpente naïvement la forêt de nuit, pas vrai ?"

Naïvement, le domestique aurait presque pouffer de rire devant ce adjectif qui ne lui correspondait pas, heureusement, il savait se contrôler et il faisait bien : tout se passer correctement avec ce matou, il ne fallait pas tout détruire avec une réaction stupide.

"Les autres solitaires ne sont pas des ennemis de la Tocade, mais des frères et des alliés. Le Chat est donc enchanté de te rencontrer, Foudre."

Réponse à la première affirmation, un mensonge pourtant. Le rouquin était un grand mythomane après tout, le 'roi des menteurs' comme le nommait Pandémie. L'alliance ne tenait en vérité que d'un bout, vous pourriez très bien sauver le domestique, jamais il ne viendra vous aider à son tour. Enfin.. il pouvait faire certaines exceptions, mais pour le reste, pour ces pauvres félins qu'il ne considérait même pas, il était comme les griffes d'un chat domestique lors d'un combat à mort : inutile.

"Le Chat est là pour continuer le travail de son compagnon, Pandémie, son 'mentor' semblait plus approprié, mais ce dernier était devenu son égal à la fin de son apprentissage. Mais surtout pour retirer ce qui lui ai dû des griffes des chats de clan."

Récupérer la gloire passée et restaurer la peur que Pandémie avait réussi à installer dans le cœur de ses claniques pour qu'ils se demandent avec frayeur qui seraient la prochaine victime des griffes de ce matou roux inconnu, mais également récupérer son petit voisin, Ramsey, qu'ils avaient kidnappé. Le cœur de Tocade se mit à battre un peu plus vite, un peu plus fort, oh il adorait parsemer le chaos partout où il passait, presque autant que les énigmes, et ce Foudre était vraiment intéressant pour ce travail.

"Les guerriers, le rouquin tiqua sur le mot, sont particulièrement farouches dans ces contrées, si c'est le sang que tu cherches, tu seras servi. Mon ami."

Le domestique appuya sur ses deux derniers mots, clairement amusé de la situation. Peu lui importait de devoir partager le territoire des clans avec d'autres matous solitaires, tant qu'il tirait cette joie malsaine de les savoir si désespérés par la situation. Ainsi, les dernières paroles de Tocade avait été délivrées de façon calme, ce n'était pas un avertissement, c'était une invitation.

Tocade eut un frisson le long de sa colonne vertébrale, ne vous méprenez pas : il n'a pas peur ce soir. Pourtant devant danger comme celui-ci, il n'était pas rare que le rouquin prenne ses pattes à son cou, mais là.. Foudre semblait différent. Ses griffes faisaient couler le sang, ses crocs apportaient la douleur et lui n'était qu'un simple chat devant ce solitaire assoiffé de sang, mais il avait sans doute laissé sa lâcheté chez lui, aujourd'hui. Inferno.. Étrange nom, pourtant il devait avoir la même ferveur que Pandémie. Est-ce que ce dernier était parti le rejoindre ? Savait-il que ce Foudre rejoindrait la forêt comme un allié ? Le noiraud déclara qu'il souhaitait des camarades pour accomplir son destin et il demanda même au domestique s'il avait des idées pour accomplir la mission de son mentor.

Les yeux du rouquin brillèrent d'un éclat nouveau, un éclat malsain. Ses babines s'étirèrent dans un sourire, dévoilant ses crocs. Il n'avait personne à qui conter ses louanges, alors maintenant qu'il avait quelqu'un à qui les narrer, il n'allait pas se priver - et puis, comme ça, Foudre saurait qu'en terme de crime, il ne tenait pas de paroles en l'air -. Les domestiques l'idolâtraient, s'il dévoilait un seul de ses méfaits, le gros roux seraient chassé de sa propre maison et les guerriers de clan, en plus de le haïr, ne comprenaient pas ses agissements.

"Oh oui.. Tout le monde connaît la Tocade maintenant, murmura-t-il en brisant sa posture parfaite pour se pencher un peu plus vers Foudre. Un cauchemar pour certain, pour les autres, comme un sauveur je viens. Mes pattes sont froides et austère. C'est les cœurs chauds qu'il quiert."

Tocade fixa le solitaire en face de lui, presque tremblant tant il était excité de le voir répondre à l'énigme qui était la clé de ses secrets.

De grands dialogues et pourtant, pas une seule réponse à son énigme, Tocade se renfrogna, presque vexé. Presque - car les paroles du matou était bien intéressante, pourtant le rouquin ne les écouta que d'une oreille, son ventre s'aillant mis à gronder : le matou commençait à avoir faim et le goût de la viande fraiche que ses bipèdes lui donnaient commençait à s'effacer sur sa langue -. 

"Enfin bref..., je suis sûr que tu as pleins d'anecdotes sordides à ce sujet et j'adore les histoires qui finissent en bain de sang! Je dors toujours mieux après ça!"

Ah bah, il était temps. Le domestique n'avait jamais été un félin très patient et bien que la compagnie de Foudre était plus que présent, il ne fallait pas pousser le bouchon trop loin.

"Comme une douce mélodie au creux des oreilles, joua-t-il."

Il se releva alors pour étirer ses deux avant puis ses deux pattes arrières : pour raconter ses méfaits, ses histoires, il fallait qu'il soit au moins confortable. Le domestique s'allongea sur le sol, couché sur le flanc avant de dessiner une croix dans la poussière pour ensuite pointer un des quatre carré.

"Mon ami, approche-toi."

Il n'allait pas hausser la voix et gaspiller encore plus ses forces à parler plus fort, déjà qu'il allait expliquer le territoire des clans à ce matou. Il n'y était pas obligé, mais devant ce félin sanguinaire, il se devait protéger ce qu'il cherchait au prix du mensonge.

"Ici, tout proche de la ville, c'est le Clan de la Terre. Beaucoup de colère, bien plus que dans mon cœur ou dans le tien, mais ils ne sont pas bien farouches, ni très vifs. Pendant des jours, la Tocade a chassé sur leur territoire et un bel après-midi, la meneuse elle-même est venue, le rouquin souffla du nez, mesquin, tout en se remémorant la scène. Elle a râlé, grogné, la Grenouille, mais il n'a fallut que d'un seul coup de patte pour trancher sa gorge."

Premier méfait, le mâle réfléchit, devait-il dévoiler le secret que lui avait dit la Lionne ? Que ces meneurs diaboliques pouvaient revenir à la vie au moins 9 fois ? Il se décida, pour pouvoir compter ce mâle parmi ses "alliés" - et surtout pour ne pas tomber entre les griffes du mâle -, il devait gagner sa confiance.

"Prends garde, dit-il en le fixant droit dans les yeux. Cette Grenouille, tout comme le reste de ces soi-disant meneur de clan, peuvent revenir à la vie. 9 fois. Ils seraient bénis par leurs ancêtres. Une histoire folle, mais je ne peux que la croire."

Le rouquin pointa un carré à côté de celui d'où il venait de retirer sa griffe.

"Ici, c'est le Clan des Nuages. Probablement le clan où la Tocade a fait le plus de dégâts. Un couple d'amoureux, le mâle se mit alors à rire, en pleine escapade amoureuse lorsque la glace s'est brisé sous le poids du mâle, la femelle, elle, était tellement en colère qu'il ne lui a fallu qu'une petite provocation, quelques jours après, pour qu'elle décide d'attaquer le Chat devant son propre petit, il se permit une pause, redevant sérieux, presque colérique de son échec. Si ces deux gros sacs à puce n'étaient pas intervenu, le Chat aurait, de bonté d'âme, permit au chaton de rejoindre ses parents."

Il continua alors à expliquer ses histoires, à donner des conseils à Foudre, expliquant que le Clan des Nuages était un clan soudé, parlant de ce guérisseur, l'Opale, qui l'avait soigné dans le Clan des Flammes, mais aussi de cette grosse femelle du même clan qui était aussi grosse qu'un chat domestique, Berce Joliette. Puis il termina avec le dernier clan, le Clan de la Pluie et alors, une fureur puissante le prit.

"Ici, il pointa le dernier carré, c'est le Clan de la Pluie! Le Chat n'a pas encore eu la chance d'y mettre les pattes en profondeur, mais quand il y sera, il cracha, ils goûteront à ses griffes ! Mon frère, défoule-toi, sors tes griffes mortelles, mords les jusqu'au sang car ceux-là sont de vrais parasites!"

Son poils s'était hérissé, le rouquin faisait peur, mais le félin en face de lui, il le savait, n'allait pas bouger d'un poil devant sa colère.

"Et si tu trouves un jeune chat blanc tâché de noir parmi eux, épargne-le. Le sang des claniques ne coule pas dans ses veines, c'est la même fougue que la tienne qui habite ce petit et la Tocade ferait tout pour le retrouver à ses côtés."

Les yeux d'or dans lesquels les pupilles n'étaient que deux fentes fixaient avec insistance celle de l'autre chat. Ce n'était pas réellement un ordre, plutôt une menace déguisée. Foudre avait beau partager ses mêmes convictions, le même passé, mais le noiraud tâterait de ses crocs et de ses griffes s'il osait toucher son petit camarade. Essayant de se calmer, Tocade entreprit de se lécher l'échine.

"Et toi camarade, as-tu des histoires à partager ?"

"Je vois... mais il me faudrait un peu plus d'information sur lui que la couleur de son pelage si tu veux que je le reconnaisse avec certitudes et qu'il n'arrive pas un malencontreux accident..."

Un accident, hein ? Tocade ne releva pas, mais son regard s'assombrit un instant.

"Il te sera facile de le reconnaître, le Chat n'en a pas vu de pareil sur ces terres. Il est blanc et son pelage est parsemé de points noirs, ses yeux sont marrons. Appelle le Ramsey, il comprendra."

Simple. Maintenant que Foudre avait toutes les informations, le rouquin espérait que ce dernier ne ferait pas la malencontreuse erreur de s'attaquer à ce petit, auquel là il attaquerait involontairement sa gorge pour qu'elle ne puisse plus produire aucun son. 

"Eh bien... J'ai tué ma partenaire et le frère de mon maître d'une mort bien douce..., il esquissa un sourire étrange, et je me suis adonné à plusieurs petits passe-temps dans le but d'être toujours plus ingénieux... La science animal ne pourrait que me remercier! Je sais à présent quelle baie sont empoisonnées après l'avoir testé sur de chanceux cobayes... je sais également combien de temps un félin tient sans eau ni nourriture ou la meilleure façon d'empaler un chat. J'ai un petit coin rien qu'à moi pour pratiquer la moindre de mes envies... Mais il est temps pour moi de m'attaquer réellement à ce pourquoi Inferno m'a toujours entrainé."

Voilà qui était intéressant ! Le domestique n'avait pas de but précis, si ce n'est de récupérer Ramsey, mais une fois ceci fait, que fera-t-il ? Foudre était un meurtrier, tout comme le rouquin, mais l'un se différenciait de l'autre : le premier tuait vite, le deuxième semblait prendre son temps pour faire souffrir ses victimes. Un vrai chat. Foudre le remercia d'avoir partager ses connaissances, et lui fit comprendre qu'à deux, ils auront leur vengeance sur les claniques. Le domestique ne pouvait s'empêcher de trouver l'autre un peu bizarre, et à l'avenir, il tâcherai d'éviter ce félin un maximum : il n'avait pas envie de mourir entre les griffes de ce matou, il était un domestique, il devait mourir dignement lui. Le gros mâle se releva alors, étira ses pattes arrières et dépassa le noiraud sans un mot. Finalement, il arrêta son pas, penaud avant de se retourner pour miauler :

"De rien, mon ami. Si tu cherches le Chat, il sera du côté bipède. Tu es le bienvenue chez lui"

Chez un bipède. Tocade était curieux de savoir ce que pensait le mâle d'un chat domestique, mais bien vite, son ventre le rappela à l'ordre, il commençait à avoir faim et il était hors de question qu'il mange une de ses proies de clan. Lui il les chassait pour jouer avec, tout comme Foudre avec ses ennemis.