Être courageuse, quelle idée ! La meneuse était là, pantelante, le sang chaud coulant du long de sa gorge arrachée. Sa vision devenait floue au fur et à mesure qu'elle avançait et elle ne voyait plus le bout de son périple. Le camp avait-il toujours été aussi si loin ? Ce gros chat roux, très beau, mais qui cachait une âme monstrueuse l'avait atomisée en quelques secondes. 

Étoile de la Grenouille revoyait ses yeux d'or qui la toisait de haut en bas comme un prédateur qui voulait manger sa proie. Lorsqu'elle était sur le sol, incapable de bouger à cause du poids énorme du domestique, Étoile de la Grenouille eut la terrible impression d'être une souris qui allait se faire manger. La meneuse haïssait ce matou, et dès qu'elle aurait l'occasion de se venger, elle n'hésiterait pas une seule seconde pour aiguiser ses griffes dans sa chair. Non seulement elle avait perdu une vie, mais elle avait aussi revu son père.

La siamoise se souvenait aussi de ses yeux. Ses yeux semblables aux siens, tant dans la couleur que dans la rage qui y habitait. C'est de famille. Cette fois-ci, ils étaient remplis de jugement et Étoile de la Grenouille avait été terrifiée de son père. Et alors qu'une énième douleur lui perça la gorge, les larmes commencèrent à lui monter, la panique rejoignit son cœur. Comment ferait-elle pour se soigner ? Elle n'avait même pas de guérisseur ! Demander de l'aide à un autre clan était impensable, elle avait encore son honneur ! Et quand bien même elle voulait rejoindre un clan voisin pour se faire aider, il était déjà trop tard, elle allait reperdre une vie. Tu n'as rien appris, Grenouille Chétive. Allait-elle voir son père une seconde fois ? Devait-elle encore affronter son jugement.

Un corps froid vint se coller à elle, si froid qu'elle se demandait s'il était vivant. Tu y es presque ma grande, encore un peu et tu pourras te reposer. Elle reconnaissait cette voix, c'était celle de sa mère! mais avant qu'elle ait pu la voir, d'autres corps, cette fois chaud virent la guider. Elle tourna la tête, il s'agissait probablement de Cœur de Coyote, ou Nuage d'Abeilles, ou.. elle ne savait pas, c'était à peine si elle sentait ses pattes. On la guida vers une tanière, sa tanière, et bien vite, elle s'écroula, fermant les yeux sous les cris de stupeur de ses camarades.

Lorsqu'Étoile de la Grenouille rouvrit les yeux, elle vit le regard rempli d'amour de sa mère.

"Lève-toi ma petite, ici, tu n'as plus de blessures, dit-elle d'un ton maternel qui manquait tant à la siamoise"

Cette dernière se releva précipitamment et vint se coller à sa mère, humant son odeur et écoutant ses ronrons apaisants.

"Tu te rétabliras bien vite, je suis fière de toi. Va, Nuage d'Abeilles t'attends"

Mais je veux rester avec toi, moi. Des miaulements aigues sortirent de sa gueule, elle n'arrivait pas à se plaindre. Regardant sa mère, elle vit son visage doux, ses yeux vert avocat en amande se transformer en un visage inquiet, avec de grands yeux verts lime. La fourrure de feu de sa mère avait été remplacée par la fourrure crème de celle qu'elle aimait le plus maintenant : Nuage d'Abeilles. Ni une, ni deux, Étoile de la Grenouille avança sa tête pour venir la frotter sur celle de l'apprentie. La siamoise était heureuse de la voir, car à défaut d'avoir sa mère, elle avait sa fille.